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Peut-on devenir auteur de photos que l’on a pas prises ?

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Depuis une dizaine d’années, certains artistes contemporains ont construit leur œuvre sur le recyclage d’images puisées dans la presse, la publicité ou dans le flux de photos circulant sur le Web. Par delà les questions liées au copyright (qui n’est pas le sujet de cette chronique), une partie du public s’interroge sur la valeur de ces travaux de « recyclage d’images » : est-ce une vraie démarche d’auteur ou ces artistes ne sont-ils pas de vrais créateurs ?

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Cet art de la réappropriation peut apparaître comme une tendance récente. Pourtant, il remonte à des pratiques déjà éprouvées au cours de l’histoire de l’art : le collage, le photomontage et le pop art font déjà un large usage d’images puisées dans les médias ou la publicité. Et à partir des années 70, l’art conceptuel s’appuie souvent sur une lecture de l’image au second degré.

Giulio Paolini

Giulio Paolini : « Jeune homme regardant Lorenzo Lotto »

Nous allons essayer de montrer que l’artiste qui se réapproprie des œuvres déjà existantes n’a pas une simple démarche de prédateur ou d’exploiteur. Pour cela, dégageons les points saillants de ces pratiques, afin de comprendre les interrogations esthétiques, politiques et sociales qu’elles soulèvent.

Plutôt que de créer des images qui vont encore augmenter la masse de celles déjà existantes, ces artistes décident d’organiser une partie de ce flux, de lui donner une forme. Extraite du flux, l’image de masse peut alors trouver un sens : l’artiste allemand Marco Bohr a compilé des photos de l’ex-dictateur nord-coréen Kim Jong-Il. Ambiguité d’une image de propagande réinterprétée: un dictateur au regard d’enfant, les objets de consommation qui, sous ses yeux, deviennent presque absurdes, des conseillers soumis qui guettent la réaction du Guide de la nation. Des photos à retrouver sur kimjongillookingatthings.tumblr.com.

Kim Jong Il looking at things

Marco Bohr : « Kim Jong-Il Looking at Things »

Ces artistes s’installent du côté du low art, c’est-à-dire, de formes d’art populaires (qu’on oppose au high art : la peinture, la sculpture, etc…). L’actualité peut alors se représenter à partir de médiums non identifiés comme artistiques. Les images de la série « Histoire moderne » de Josh Poehlein sont ainsi des collages numériques réalisés à partir de captures d’écran sur YouTube.

Josh Poehlein

Josh Poehlein

En réhabilitant l’intérêt pour les photographies anonymes, les artistes de la réappropriation changent notre regard sur les pratiques amateurs de la photographie. Erik Kessels, grand collectionneur de photographies anonymes, a ainsi imaginé dans ses expositions toutes sortes de mises en scène qui nous amènent à repenser notre rapport à la photo de famille. Faire de l’art, ce n’est pas seulement créer, c’est aussi le faire apparaître là où on ne savait pas qu’il était.

Erik Kessels

Erik Kessels

Enfin, ces démarches prennent souvent le parti du décalage et de l’humour pour mieux nous permettre de nous interroger sur les évolutions de notre société et son rapport aux images. Une stratégie bien adaptée à notre époque.

Les images circulent : elles constituent donc une matière dont chacun peut s’emparer pour la remodeler. La définition exacte de ce qu’est un auteur : quelqu’un qui transforme une matière pour se l’approprier et lui apporter une plus-value.

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