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En 1968 une revue à l’existence éphémère va révéler une nouvelle esthétique dans la photographie japonaise. Son nom est un programme : PROVOKE.



Daido Moriyama

Daido-Moriyama


1968 : la contestation gagne aussi le Japon. En novembre sort le premier numéro de Provoke, une revue qui ne connaîtra que trois parutions mais deviendra culte. Consacrée à la photographie d’avant-garde, ce premier numéro s’ouvre sur un manifeste qui se conclut ainsi : « Nous voulons des photos qui soient des matériaux pour la pensée. » En lisant ces mots, on s’attendrait à une photographie cérébrale, intellectuelle, des photos à message. C’est tout le contraire : les photos publiées sont saturées, granuleuses, floues, mal cadrées. La mise au point est approximative, les fautes techniques y sont clairement assumées. Jusqu’alors, les photographes japonais s’était inscrits dans la tradition du documentaire social (Ken Domon) ou bien dans une recherche d’élégance formelle (Shoji Ueda) propre aux arts graphiques du Japon. Soudain, apparaissent ces images pulsionnelles, transgressives, branchées sur l’inconscient. D’où vient cette rupture ?



Shomei Tomatsu

Shomei Tomatsu


Revenons un peu en arrière : à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Japon va connaître six années sous tutelle américaine qui vont profondément ébranler ses valeurs traditionnelles. La culture américaine pénètre la société japonaise et le pays opère un rétablissement économique spectaculaire. La photographie connaît alors un développement rapide, au niveau de la pratique individuelle et de la construction de matériel : les principaux constructeurs d’appareils photo ne seront plus allemands mais, désormais, japonais.

Et les photographes japonais découvrent ceux qui, aux Etats-Unis, ont changé la photo : Robert Frank, Gary Winogrand, mais surtout William Klein. Si on cherche une origine aux photographes de Provoke, c’est sans doute de ce côté qu’il faut la chercher.



Takuma Nakahira

Takuma-Nakahira


Avec Provoke, le Japon découvre une nouvelle génération de photographes à travers des images qui séduisent autant qu’elles scandalisent : les lumières hallucinées et les noirs cendreux des photos de Takuma Nakahira (Pour un langage à venir, 1970) ; les dérives hypnotiques, presque nauséeuses de Yutaka Takanashi (Towards the City, 1974) ; les corps en extase de Shomei Tomatsu (Eros, 1969) ; cette sorte de cinéma mental qui transparait dans le montage des livres de Daido Moriyama (Bye-bye Photography, 1972). Jamais la photographie ne s’était montrée aussi nue, aussi crue : une pure perception.

La violence radicale des deux bombes atomiques, une société déchirée entre ses doutes et son désir d’expansion économique. Les consciences se sont modifiées. La photographie n’est plus cet art de l’œil mais engage le corps tout entier. Elle ne montre plus des faits mis en forme, mais des pulsions : pulsion de vie, pulsion de mort. Provoke : un cri de ralliement qui n’en finit pas de résonner.



Takuma Nakahira

Takuma-Nakahira

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