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Urbex et mise en scène : quand les photographes redonnent vie aux lieux abandonnés

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[box]Cet article fait partie du dossier de la semaine du 29.09.14 : Urbex : État des lieux d’un mouvement clandestin[/box]

Le photographe-explorateur devrait n’être qu’un simple témoin des lieux abandonnés. Ses escapades lui permettraient d’archiver les traces d’un monde en ruines sans laisser de traces de son passage. Ce non-interventionnisme dans les lieux abandonnés fait partie des règles de l’urbex : rester discret, laisser le lieu tel qu’on l’a trouvé. De nombreuses photos montrent pourtant que le photographe-explorateur n’est pas simplement spectateur, mais également acteur de la scène qu’il photographie : que ce soit par de la mise en scène ou par des changements imperceptibles, il transforme le lieu.



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Diane Dufraisy


Selon les principes de l’Urbex, l’explorateur n’est que de passage sur le lieu, il ne touche, ne déplace ni ne prend rien… si ce n’est des photos. Avec l’augmentation du nombre d’explorateurs, le nombre de photos du même lieu se multiplie lui aussi. Sur ces images, on s’aperçoit que ces ruines changent doucement : des objets ont changé de place, certains ont disparu et d’autres sont apparus. Parfois, des personnes se glissent dans le cadre. Les photographes s’éloignent-ils de l’Urbex en ayant recours à la mise en scène ?

Qui a répondu à nos questions ?

  • Sylvain Margaine : s’il explore depuis qu’il est enfant avec son père, il considère que cela fait 11 ans qu’il pratique vraiment sérieusement l’Urbex. Il a notamment exploré de fond en comble les lieux abandonnés belges.
  • Mister J : les premières explorations de ce street photographe remonte à une vingtaine d’années. Il est actuellement à Berlin pour quelques semaines et explore en profondeur les environs.
  • Diane Dufraisy : exploratrice parisienne depuis 10 ans. Elle a commencé en 2004 avec la Petite Ceinture, une ligne de chemin de fer encerclant Paris, et ne s’est jamais arrêtée depuis.
  • Eléonore Joulin : une artiste française travaillant à Bruxelles. Son projet, « Le nuage de Tchernobyl », est un voyage virtuel de la zone abandonnée de Chernobyl-Pripiat à travers les multiples photos prises par les touristes.

[pullquote type= »2″]« J’attache beaucoup ‎d’importance à ce que les lieux ont à raconter. Et si leur histoire est banale ou introuvable, je me fais un plaisir d’en imaginer une… »Sylvain Margaine[/pullquote]


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Sylvain Margaine


Réagencer pour mieux marquer

Quand un explorateur-photographe se rend sur un lieu abandonné, il y a toujours un intérêt visuel derrière : photographier l’abandon et ce qui reste du lieu, l’absence et le vide après désertion, les traces de vie qui malgré tout perdurent, la quête de l’insolite. Il y a un toujours un sentiment, une impression qui précède la photo et qui influe sur sa réalisation : le photographe cherche à transmettre quelque chose et il va mettre en place certains moyens pour parvenir à sa fin. La réorganisation du lieu est l’un d’entre eux.

Sylvain nous explique : « La mise en scène se prête bien aux photographes qui explorent des anciens espaces résidentiels, où il y a de nombreux objets à réagencer. » Le lieu paraît authentique et pourtant l’explorateur a changé la place des objets pour donner plus de force à son image.

Ce sont ces modifications, non évidentes au premier coup d’œil, qu’Éléonore met en évidence par sa collection d’images du site de Tchernobyl. L’artiste a passé du temps sur internet à chercher des photos de touristes à Tchernobyl. Dans cet amas d’images, elle retrace l’histoire de quelques objets qu’elle retrouve de photo en photo.



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Éléonore Joulin


Sur ces images, on s’aperçoit que, d’une photo à l’autre, les objets ont changé de place.

Selon Eléonore, il semblerait que ce soit les guides qui, pour renforcer la dramatisation et autres sentiments que suscitent l’espace, effectuent ces infimes modifications : « Les guides déplacent les objets pour exacerber la dimension dramatique du lieu. Cette mise en scène, comme la poupée portant un masque à gaz par exemple, est là pour nous donner une image concise de nos émotions. Afin de les reproduire et de les communiquer à nouveau. ».



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Ces émotions, ce sont celles que l’on ressent lors de la visite d’un lieu où l’on devine encore des traces de vie. Éléonore continue : « La visite de ces structures nous ramène à notre propre vécu et à nos souvenirs. Nous reconnaissons ces endroits, nous nous sentons concernés. Le circuit joue avec nos connaissances et nos émotions. » Les photos d’exploration urbaine remplissent la même fonction : le photographe compose l’image de telle sorte que nous puissions ressentir les émotions attendues.

Ce qui compte alors, ce n’est pas tant l’authenticité du lieu que celle des sentiments.

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Sylvain Margaine

Se réapproprier le lieu par la mise en scène

[pullquote type= »2″]« Le lieu devient un décor de cinéma, un décor de théâtre. C’est une nouvelle vie qui s’offre à lui. »
Mister J [/pullquote]

La réappropriation du lieu par l’explorateur peut aussi être assumée. Certains explorateurs vont plus loin. Plutôt que de « simplement » vouloir renforcer l’authenticité du lieu, ils lui font raconter une autre histoire, celles qu’ils ont eux-mêmes imaginée.

Pour Éléonore, l’exploration de lieux abandonnés « se cimente dans les notions de temps, de mort et de décadence ». Alors, on a envie d’y inventer des histoires qui vont de la féerie à l’horreur.

Mister J a lui aussi cédé à la mise en scène. Il nous fait part de sa première expérience d’exploration : « Le premier lieu abandonné que j’ai fait avait une histoire assez sordide, je me souviens que ça m’avait marqué. Du coup j’y ai fait une série sur les 7 pêchés capitaux. »

À travers ces histoires, les photographes redonnent une nouvelle vie au lieu. Pour Diane, c’est un moyen de lui rendre un dernier hommage, d’en faire briller, une dernière fois, l’éclat : « l’être humain a édifié le lieu, utilisé puis abandonné. En ré-humanisant le lieu, je lui redonne vie le temps d’une photo, je le sublime ».

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Diane Dufraisy

Créer des traces de vie dans des lieux abandonnés en se les réappropriant nous « rappelle finalement le caractère éphémère de toute chose », pour reprendre les termes de Diane. Ces espaces qui, autrefois, grouillaient de vie sont maintenant dépassés, officiellement « hors d’usage », et ces derniers sursauts de vie ne semblent pouvoir enrayer le processus… Faute de pouvoir les restaurer, les photographes les accompagne dans leur lente mort. S’ils ne tentent d’en sauver leur histoire, il s’empresse alors de leur en réinventer d’autres…

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Les sites des différents photographes : Eléonore Joulin, Sylvain Margaine, Diane Dufraisy et Mister J
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[box]Cet article fait partie du dossier de la semaine du 29.09.14 : Urbex : État des lieux d’un mouvement clandestin[/box]