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Au nord de l’Onirie, le pays imaginaire de Laurent Villeret

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Laurent Villeret est fou d’espaces inhabités et indomptés. Voyageant au 4 coins du monde depuis 10 ans pour capturer des photos venant nourrir son projet de pays imaginaire, le photographe a passé une partie de l’hiver dernier en Gaspésie. Son objectif, revenir avec des images de glaçons et de forêts enneigés. Interview avec un artiste qui veut partager ses rêves.



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► ► ► Cet article fait partie du dossier Des photographes en quête d’espaces sauvages

« Le Nord de l’Onirie » est le 7ème épisode du projet de livre du photographe Laurent Villeret qui, depuis 10 ans, photographie des pays du monde entier pour faire la cartographie de son pays imaginaire. Appelé Onirie, celui-ci réunirait les cultures sur une seule terre et abolirait les frontières. Pour le Nord, Laurent est parti à Moscou en Russie, puis en résidence d’artiste d’un mois en Gaspésie (issue d’un partenariat entre les Rencontres internationales de Gaspésie et les Promenades photographiques de Vendôme). En arrivant au Québec, le photographe s’est retrouvé en pleine nature, submergé, fasciné par l’immensité de la mer, de la neige et des glaciers.

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OAI13 : Comment t’es venue cette idée d’un pays imaginaire ?

Laurent Villeret : Ça a commencé un peu par hasard en 2003 quand lors d’un voyage, j’ai réalisé un carnet de photos et de notes, juste comme ça. C’est à son issue que j’ai eu l’idée de ce projet de pays imaginaire et maintenant ça fait 10 ans. Je prends mon temps. J’ai une sorte d’utopie post-68arde qui me pousse à croire que les frontières sont un concept ridicule. Mon projet cherche à répondre à cette question que je me pose : comment peut-on faire péter les frontières ?

Au départ j’avais pensé à plein de pays imaginaires. Mais c’était un tantinet ambitieux et un peu trop science-fiction. Alors qu’un pays imaginaire, ça permet de mélanger des cultures différentes avec une entité de pays unique. Le fait d’avoir des différences culturelles n’empêche pas de vivre tous ensemble.
Je suis un grand gamin un peu naïf et j’aime l’idée de créer un univers qui ressemble à un conte. J’aimerais emmener le lecteur de l’image dans un ailleurs. C’est pour ça que mes photos de Gaspésie sont assez iconiques finalement : il y a beaucoup plus de paysages sans personnes alors qu’avant je mettais un point d’honneur à avoir surtout des gens dans chaque image.



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C’est peut-être le pays qui s’y prêtait…

Exactement. Quand on est en janvier et qu’il fait -35°C, il n’y a personne dehors tout simplement. En un mois, je n’avais pas forcément le temps de rentrer chez les gens pour les photographier et quand j’y allais je passais mon temps à parler et finalement je ne prenais rien. Et puis le fait d’être à l’intérieur donne très vite des éléments qui sont informatifs.

Pour la Gaspésie, je voulais des clichés plus iconiques qu’à Moscou où j’avais capturé pas mal d’intérieurs. Comme je n’étais plus en ville, j’ai voulu profiter de ces étendues glacées qui font rêver. J’y suis allé 3, 4 fois et je ne m’en lassais pas. J’ai fait je ne sais pas combien de photos de glaçons. Avec un coucher de soleil, tu t’exclames « whaaaa !!. D’ailleurs quand je me levais le matin, je faisais : « Oooh des glaçons, whaaaa ! ». Les seules photos d’intérieur que j’ai réalisé, ce sont celles que j’ai faite dans la résidence où j’étais. Il y avait une énorme baie vitrée donnant sur la forêt enneigée, c’était juste magique.



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Comment tu comptes faire pour réunir tous les pays que tu as photographié en un seul ?

Je n’ai pas encore bien défini la manière dont j’allais construire mes 4 pôles : Nord, Sud, Est et Ouest. J’aimerais faire un livre sur chacun d’entre eux. Le Nord, c’est facile à prendre en images parce que c’est là où il fait froid. Imagine mon Nord imaginaire. La ville principale sera construite avec les photos de Moscou, et la campagne, avec celles de la Gaspésie. Et comme le Nord c’est grand, il y aura aussi des ports et plein d’autres choses encore. C’est quand j’étais en résidence au Québec que le problème de l’Est et l’Ouest.

La terre est ronde donc l’Est, quand t’es au Québec, c’est l’Europe, et l’Ouest, c’est l’Asie. Alors qu’en Europe, l’Est c’est l’Asie et l’Ouest l’Amérique. Du coup, je me pose la question : c’est quoi le nord, le sud, l’est, l’ouest ? Il va vraiment falloir que je m’interroge sur la façon dont je vais agencer les images, sur la manière dont je prends position.



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Qu’est-ce qui t’attirait en Gaspésie ?

Ce que j’aime par-dessus tout, c’est photographier des endroits où il n’y a pas grand chose. Le Québec, c’était l’endroit idéal. Je cherche à savoir comment l’homme s’adapte et vit en fonction de la géographie. C’est pour ça que dans mes paysages de Gaspésie, c’est rare qu’il y ait une personne, une maison, une voiture ou quelque trace physique que ce soit. J’ai fait quelque grandes villes comme Pékin et Shanghaï parce que je voulais des zones ultra-urbanisées avec des grands buildings. Mais j’ai surtout fait des photos de désert, de bords de mer, d’une île. Pour l’île, je suis allée à Zanzibar.

Je vais peut-être aller en Guyane aussi car je veux absolument avoir des photos de l’Amazonie, de la forêt dense qui implique une autre façon de vivre. A chaque série, il y a une dominante : verte pour l’Amazonie, bleue pour la Gaspésie, beige sable pour le désert. La couleur fait partie de l’écriture. J’ai encore plein de projet avec d’autres dominantes à faire pour enrichir mon pays qui reste encore à définir. Mais j’ai un petit problème. Le temps m’est compté parce que mes polaroids sont périmés depuis 5 ans. Du coup j’ai de plus en plus de difficultés à réaliser mes tirages parce que l’image est vraiment sale. Plus je vais attendre et plus ça va devenir difficile de faire mes transferts polaroïds. J’ai mis en place tout un procédé pour me débarrasser de ces traces marrons.



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Tu utilise la technique du transfert polaroïd pour qu’il y ait cette impression d’onirisme ?

Plus je vieillis dans la photo, et plus ce que j’aime, c’est les photos qui évoquent plus qu’elles ne montrent. J’aime bien ce côté évanescent et brumeux. Du coup, les gens photographiés n’ont pas de visage, ils sont toujours dans l’ombre. On peut s’y identifier et à partir d’une image aux contours mal définis, on peut s’imaginer des histoires, tout ce qu’il y a autour de la photo et que l’on ne voit pas. Bref, les gens peuvent s’approprier la photo : je les emmène en voyage. Le fait d’utiliser ce procédé un peu aléatoire avec des bords un peu sale, déjà, ça lui donne une histoire. On a l’impression que ce sont des vieilles images, comme si la photo avait vécue. Ce qui est intéressant avec le procédé et le cadrage, c’est qu’on perd les notions de l’espace. Il y a un côté un peu magique : on a l’impression que les personnes photographiées sont en train de voler ou de papillonner.



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Est-ce qu’il y avait des contraintes particulières à prendre des photos dans le froid ?

Le principal problème, c’est les batteries qui tombent vite à cause du froid. J’avais 3 batteries sur moi, dont une bien au chaud contre moi. Si tu rentres et que tu ressors, le froid provoque un effet de condensation. Par exemple s’il fait -35°C dehors et que tu rentres dans une maison où il fait 22°C, tu t’aperçois que la photo est ratée parce qu’il y a de la buée de partout.



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Quand tu sortais prendre des photos t’avais déjà un but ou juste tu te baladais ?

Je me suis donné des objectifs qui laissaient beaucoup de place à la découverte. C’est le but d’un voyage. En tant que photographe, je me rend souvent compte que je me laisse piéger par les représentations que j’ai d’un lieu et que je les projette dessus en arrivant : on veut voir quelque chose et on va tout créer pour voir ce que l’on avait déjà imaginé. Mais du coup on s’empêche d’être confronté à de l’imprévu. Pour éviter de trop me laisser happer par cette tentation, j’ai fait en sorte de laisser une grande place au hasard.

Pour ça, j’ai fait toute la Gaspésie en voiture en m’arrêtant au gré des découvertes. La seule chose que je savais en arrivant, c’est que je voulais des photos dans la forêt. Je cherchais des trucs un peu insolite en fait. Dans toutes mes photos, je voulais évoquer le froid, son ressenti. Pour ça, tous les moyens étaient bons : je mettais de la neige devant l’objectif ou je prenais des photos à travers la vitre.



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Pourquoi vouloir développer un pays imaginaire ?

Pour voyager et pour mettre toutes les cultures du monde sous la bannière d’un même pays. Et puis surtout, j’ai envie de rêver. Et un pays imaginaire, ça me fait rêver. Ça me fait penser à Tintin et le sceptre d’Ottokar où Hergé crée un pays. Je trouve ça assez drôle cette dimension critique de la notion de pays par l’imaginaire. Avec des noms qui pourraient tout à fait exister et des frontières fictives. Ce projet, c’est vraiment pour me faire rêver.



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