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Pourquoi est-il difficile de photographier le chômage aujourd’hui ?

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Olivier Jobard
Cet article fait partie du dossier de la semaine du 21.04.14 : Le chômage et l’image

Alors que le chômage est une problématique centrale aujourd’hui, il est très difficile de trouver des sujets de photographie documentaire qui traitent spécifiquement de cette question, alors qu’au XXe siècle (oui c’était il n’y a pas si longtemps), on trouve de nombreux travaux photographiques parlant du chômeur.


Le chômeur photographié au XXe siècle, une figure multiple

Des années 1930 aux années 1980 aux États-Unis et en Europe, le chômeur a pris plusieurs formes dans la presse. D’abord seul et abandonné dans la rue, le chômeur est montré comme un être inactif, n’ayant rien à faire de ses journées. Mais les manifestations et la mobilisation syndicales du début des années 1930 fait émerger de plus en plus de sujets de reportage sur le chômeur militant. Cet homme se bat pour nourrir sa famille, il proteste et s’organise en groupe. On voit apparaître des photographies de foules de chômeurs brandissant des pancartes et parcourant les grandes villes. Dans les années 1980, Paul Graham bouleverse cette vision du chômeur militant en photographiant les salles d’attente des services sociaux. Là, le chômeur devient ce corps en attente, las et abandonné. À partir de ce travail de Paul Graham, c’est le chômeur aliéné auquel les photographes vont s’intéresser, celui qui est enlisé dans un système complexe, ni vivant ni mort : tout juste survivant.



Dorothea Lange, 1937



John Vachon, 1938



Anonyme, 1930s



Anonyme, manifestations de chômeurs à Chicago en 1934

Les années 2010 et le chômeur invisible


Mais dans les années 2010, alors que le chômage constitue une des problématiques centrales dans la société européenne, il s’avère difficile à représenter. Les séries photographiques documentaires d’aujourd’hui abordent des questions comme la précarité (Olivier Jobard et « La vie à durée déterminée »), le mal logement (Samuel Bollendorf et l’enquête « À l’abri de rien »), la débrouille (Sophie Brandstrom et le webdoc « Ma vie à deux balles ») et d’autres types de sujets sociaux, mais pas le chômage. Aujourd’hui, le chômeur n’est plus ouvrier, il ne se voit plus dans la rue, il n’est plus dans les manifestations. Le sans emploi d’aujourd’hui est invisible, mais partout : c’est le jeune diplômé qui entre sur le marché du travail, c’est le cadre supérieur licencié à quelques années de sa retraite, c’est le trentenaire en recherche d’une situation stable, le quarantenaire en reconversion, mais c’est aussi l’auto-entrepreneur qui ne peut se faire salarier dans son domaine, c’est le pigiste sans piges, le freelance sans commandes. Le chômeur, aujourd’hui, ça peut être n’importe qui. Est-il possible de le photographier ?



Olivier Jobard

Olivier Jobard, La vie à durée déterminée



Samuel Bollendorff

Samuel Bollendorff, À l’abri de rien



Sophie Brandstrom

Sophie Brandstrom, Ma vie à deux balles


Cet article fait partie du dossier de la semaine du 21.04.14 : Le chômage et l’image
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Molly Benn a co-fondé OAI13 en septembre 2013. Elle en a été la rédactrice en chef jusqu'en 2015. Elle est maintenant Community Editor FR pour Instagram. Ses opinions sur OAI13 sont les siennes et pas celles d'Instagram.