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Photographe, état des lieux d’une profession qui se réinvente

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Cette année Laurent Onde vous propose en 2015 une série d’articles abordant des problématiques administratives ou juridiques des photographes professionnels. Voici le premier volet.

| Texte par Laurent Onde.

Le discours n’est pas nouveau : le métier de photographe serait en crise. Pourtant, la photographie, elle, est en pleine expansion. La commercialisation des appareils photos a connu un véritable boom ces dernières années. En 2013, 71% des Français déclarent posséder au moins un appareil photo numérique au sein de leur foyer (source baromètre API/IPSOS).


graphpsos13Extrait du « baromètre API/IPSOS » 2013


Cet engouement ne se limite pas au matériel technique. La commercialisation de la photo est également en croissance positive. Les banques d’image se créent, les réseaux sociaux spécialisés s’arrachent à prix fort. Souvenez-vous qu’en août 2012, Facebook a acheté Instagram pour 1 milliard de dollars, soit 766 millions d’euros. Le marché de la photo d’art connaît également cet essor. Selon le site Artprice, 115,5 millions d’euros ont été générés en 2013 par l’ensemble des ventes aux enchères de photographie, contre 50 millions d’euros en 2012.
Alors oui, la photo se porte bien. Mais les photographes, comment vont-ils ? Une chose est sûre, avec la démocratisation croissante (mais pas nouvelle) de la technique photographique, le métier attire beaucoup de monde. En 2014, et pour la troisième année consécutive, photographe est le métier préféré des français selon le magazine Orientations. Répondant à ce mouvement, l’image professionnelle est de plus en plus abordée : écoles, formations, livres spécialisés, blogs, sites et forums. Le marché devient alors de plus en plus concurrentiel et (presque) saturé. Alors, cet engouement pour la photo va-t-il entrainer la mort du métier ? Face à ce constat, comment le photographe professionnel peut-il se réinventer ?

Un métier multiple et mal défini

La photographie professionnelle souffre de cette frénésie. Mais ne plongeons pas directement dans le pessimisme ambiant. Car la première difficulté vient du fait qu’il est complexe de définir simplement ce qu’est un photographe professionnel.

Le dictionnaire Le Petit Robert nous apprend qu’une profession est « une occupation déterminée dont on peut tirer ses moyens d’existence ». Est donc photographe professionnel celui qui arrive à vivre de sa pratique. Les revenus peuvent être liés à la maîtrise de la production de l’image et/ou de sa diffusion. Il peut s’adresser à des particuliers ou à des entreprises. Le métier de photographe ne connaît donc pas une définition unique.


01-jabez-hogg-making-a-portrait-in-richard-beard_s-studio-unknown-photographer-1843Jabez Hogg réalisant un portrait de Richard Beard. Photographe inconnu. 1843


Au fil du temps, son domaine d’intervention s’est transformé. Au départ portraitiste, le photographe s’est ouvert aux sujets d’actualité. Puis avec le développement de la société de l’image, il s’est tourné vers la communication et l’illustration. Depuis sa création, le métier s’est diversifié et complexifié.

De tout temps, le professionnel a tenu à se différencier des amateurs. Le matériel a longtemps été un signe (superficiel) de distinction. Face à la diversité de l’offre des équipementiers et son accessibilité, ce critère de différenciation ne tient plus. Il faut donc se concentrer vers l’essence d’une profession : la déclaration d’activité. En France, tout le monde peut s’installer comme photographe professionnel. Une simple formalité administrative suffit.

Aujourd’hui, l’administration cloisonne les activités de photographe en fonction du domaine abordé : artisan-commerçant, auteur photographe, pigiste, salarié, auto-entrepreneur…(vaste sujet qui sera abordé dans un autre article). La profession de photographe recouvre donc différentes réalités économiques et juridiques. Le même outil de travail mais chacun sa discipline, chacun ses clients, chacun ses droits et chacun ses devoirs. Mais une question se pose alors : existe-il une déontologie commune ? Marché déréglé, pratiques abusives, concurrence sauvage, tarifs en baisse… sont autant de signes d’une crise profonde du secteur.

Le métier a évolué et le marché remet en cause ce cloisonnement administratif. Relevant de différents statuts, de nombreux photographes se mettent hors la loi afin de répondre aux exigences de leurs clients. Certains pratiquent des activités qui ne relèvent pas de leur statut. D’autres se déclarent auto-entrepreneur alors qu’ils devraient bénéficier du statut de salarié. Alors, faut-il une intervention des pouvoir publics ? La création d’un statut unique est-elle la solution ? Le métier de photographe doit-il devenir une profession réglementée pour pouvoir survivre ? Rappelons, par exemple, qu’en Islande, le titre de photographe professionnel n’est accessible que par un diplôme d’état. Faut-il suivre cet exemple ? Difficile à envisager car le métier de photographe est constitué de nombreux autodidactes. Face à ces questionnements, la profession a dû se structurer et se défendre.



societe-dauteur

Un métier à défendre

Depuis de nombreuses années, des initiatives existent pour fédérer les photographes. Associations, syndicats, sociétés d’auteurs,… autant de structures pour un point commun : défendre les intérêts des professionnels de l’image.

Mais au vu de la multiplicité de statuts, il est difficile de trouver une réelle mobilisation totale du milieu. En France, les principaux statuts se fédèrent autour de deux organisations professionnelles. Tout d’abord, l’UPP – Union des Photographes Professionnels – est une association qui s’adresse aux auteurs photographes et photojournalistes. Spécialisée sur les questions liées aux droits d’auteur, l’association rassemble 1200 membres actifs. Ensuite, le GNPP – Groupement National de la Photographie Professionnelle – est le syndicat des photographes artisans. Il regroupe 700 adhérents répartis sur toute la France. En parallèle, d’autres initiatives ont vu le jour : le PAJ, l’UNPACT, le SNADI,… Enfin, pour collecter et répartir les droits collectifs, des sociétés d’auteurs se sont créées : SAIF, ADAGP, SCAM. Quelque soit leur forme, tous ces acteurs ont des cibles et des stratégies différentes mais ils poursuivent une mission commune : défendre le métier de photographe.

Ils sont là pour éclairer sur les pratiques professionnelles (démarches, prix, négociation,…) et donner des conseils juridiques (contrat, facturation, autorisation, cadre fiscal,…). Par ailleurs, des actions de sensibilisation du grand public et de lobbying sont lancées. Ils ont également comme un rôle de représentation des photographes auprès des pouvoirs publics.

Mais leurs combats rencontrent de nombreuses difficultés. Tout d’abord, ces organisations professionnelles doivent se confronter à une faible mobilisation du secteur. La photographie est connue comme étant une profession individualiste. Reflet de la société, la mobilisation est plus efficace face à un danger immédiat. Les usages de fond ne sont pas ancrés. De plus, il y a peu de renouvellement de la base militante. Ce sont souvent les mêmes photographes qui animent bénévolement ces structures depuis des années. Par ailleurs, la technicité des débats les rend, parfois, difficiles d’accès. Enfin, on peut noter une absence réelle de volonté politique publique de se saisir du problème de la photographie professionnelle. Souvenons-nous par exemple de la mission pour la photographie lancée par Frédéric Mitterrand sous la présidence de Nicolas Sarkozy, et qui resta sans suite après le changement de gouvernement. Comme disent certains : les ministres se succèdent et les problèmes demeurent !


Portail Arago Gustave Le Gray (1820-1884), Grande vague, Sète – n°17, image extraite du portail Arago de la mission de la photographie


Un métier condamné… à se réinventer

Et si le challenge de ces prochaines années était la reprofessionnalisation du métier de photographe ? Les photographes professionnels ont du s’ouvrir à d’autres domaines et explorer des nouvelles techniques, de nouveaux réseaux et de nouveaux médias. Comme tous les métiers indépendants, le photographe se frotte aujourd’hui à d’autres disciplines : démarches administratives, prospection commerciale, stratégie de communication, community management… Mais son réel professionnalisme tient de son savoir de l’image.

Faire valoir le seul regard comme compétence professionnelle paraît, aujourd’hui, très compliqué pour ne pas dire risqué. Il y a de plus en plus d’utilisateurs d’appareils photo qui ont un « œil », sans forcément tirer des revenus de cette activité. Ce qui fait le photographe professionnel, c’est son savoir technique et surtout sa culture de l’image. Aujourd’hui, est professionnel celui qui saura faire la bonne image correspondante au contexte demandé. La compétence technique peut faire la différence mais n’est plus le critère premier de succès.

Poursuivant la révolution numérique, les médias et les entreprises sont en demande d’une communication visuelle novatrice. Dans ce contexte, de nouvelles demandes apparaissent et des pratiques innovantes se mettent en place. Accusés d’avoir tuer la photo, les réseaux sociaux et les smartphones sont en train d’inventer de nouvelles pratiques. Comme le mois dernier où Netflix, le géant de la vidéo en flux continu, s’est mis en recherche de trois photographes Instagrammers. Leur mission était de documenter les lieux de tournage à travers les Etats-Unis. La société américaine venait donc d’inventer le photographe de plateau 2.0 ! Netflix a même fait réaliser une vidéo pour mettre en valeur les GIFs animés qui constituent la campagne de communication digitale de la marque dans les rues françaises.

L’heure serait donc à l’adaptation. Une mutation du marché se met en place.





Dans ce sens, la formation constitue un enjeu majeur du secteur de la photographie. 20 ans après le passage au numérique, la profession doit retrouver la voie vers la formation. Le droit à la formation professionnelle continue ouvre de belles perspectives. Ce droit offre la possibilité aux photographes de se former à de nouvelles techniques et d’enrichir leur pratique professionnelle et de s’adapter aux demandes du marché. Les photographes artisans et salariés connaissaient déjà ce dispositif de financement. Les photographes dépendant de l’Agessa en étaient exclus. Mais les pouvoirs publics ont entendu les appels des auteurs photographes, et depuis le 1er juillet 2012, ces derniers ont accès à ce dispositif d’aide. Cela prouve que si le secteur se mobilise, et avec le soutien des pouvoirs publics, les choses peuvent évoluer. La situation est certes difficile mais à l’heure où les opportunités émergent, tout reste possible !


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