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Les amateurs bouleversent le photojournalisme… en 1914

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Le Miroir, édition du 6 décembre 1914

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En 1914, le journal Le Miroir fait appel aux amateurs pour renouveler les images de conflits qu’il diffuse. Ce sont ces photographes du dimanche qui vont créer une nouvelle esthétique, celle du photojournalisme moderne.


Le photographe vs l’illustrateur

Si la photographie existe depuis plusieurs décennies, la Grande Guerre sera le premier conflit à bénéficier d’une couverture dans la presse magazine. À cette époque, la presse, habituée aux dessins, s’adapte petit à petit à la photographie. Face au sensationnalisme de l’illustration, la photographie et ses procédés encore longs font pâle figure. Les premières photographies du front sont des reconstitutions ou des images d’entraînements. L’imagination de l’illustrateur est bien plus convaincante que n’importe quelle photographie posée ou mise en scène. Pour apporter un peu de nouveauté dans ce style photographique stéréotypés, le magazine Le Miroir fait appel aux photographes amateurs.

Un exemple ci dessous : tout d’abord, on observe deux illustrations datant de 1895 et 1915. Le dessinateur a représenté la violence de la guerre et la bravoure des soldats français par l’accumulation des combattants, et le mouvement courageux vers l’ennemi.



Supplément illustré du Petit Journal du 2 juin 1895 et du 26 mars 1916


Et ici, sur cette photographie, on observe simplement une explosion de grenade au loin. Les soldats et chevaux marchent au pas. Difficile de comprendre quelle est l’histoire. Difficile de se représenter la guerre. Avouez qu’entre l’illustration et la photo, il y en a une des deux qui parle un peu plus !




Le concours pour découvrir les meilleurs clichés

Dès août 1914, le journal annonce : « Il paiera n’importe quel prix les documents photographiques, relatifs à la guerre, présentant un intérêt particulier. » La participation de l’amateur devient ainsi un moyen de renouveler le style photographique et de couvrir la guerre de façon plus sensationnelle. Pour le motiver, des concours sont organisés. En mars 1915, Le Miroir lance « le concours de la plus saisissante photographie de la guerre », récompensé d’un prix de 30 000 francs. En mai 1915, il crée un autre concours mensuel qui récompense de 250, 500 et 1 000 francs les meilleurs clichés. L’objectif ? Publier la « vraie guerre ». En excitant les amateurs par des gains importants, Le Miroir se procure exactement les images dont il a besoin : des photographies vecteur d’un patriotisme conquérant dénonçant la barbarie des Allemands, défendant les valeurs de la France civilisée. L’appât du gain pousse l’amateur a chercher le scoop. Photographie de tranchée ou attaque à coups de grenade, Le Miroir se remplit d’histoires qui font l’évènement et donne l’impression au lecteur de vivre le conflit aux côtés des soldats.

En quatre ans de guerre, le photographe amateur a vendu 28 reportages au Miroir et encaissé des sommes très importantes. Des simples photographies de régiments, l’amateur est parti à la recherche de scoops et a transformé notre vision du conflit.

Le Miroir, 8 octobre 1916

Le Miroir, 8 octobre 1916.



Le Miroir, édition du 6 décembre 1914

Le Miroir, édition du 6 décembre 1914.


Le photojournalisme aujourd’hui

Le 7 janvier 2014, Olivier Laurent posait la question du pouvoir de la photographie de guerre aujourd’hui dans les colonnes d’Our Age Is Thirteen : « La guerre, la pauvreté, le malheur physique et psychique n’intéressent plus personne. » Il est même assez révélateur d’observer que l’exposition monumentale War/Photography, rassemblant près de 500 photographies de guerre (au Brooklyn Museum, à New York, jusqu’au 2 février 2014) bénéficie d’un accueil très mitigé de la part de la presse généraliste américaine. Beaucoup s’interrogent sur le pouvoir aujourd’hui de la photographie de guerre. Le site internet Salon.com va jusqu’à titrer son article sur l’expo : « War photography can anesthetize », la photographie de guerre peut anesthésier.
Clairement, face à la crise de la presse, le milieu professionnel s’interroge depuis plusieurs années sur le renouveau du photojournalisme : webdocumentaire, smartphone, « rich media »… Personne n’a encore trouvé la solution. L’enjeu ici n’est pas seulement de perpétuer le photojournalisme, mais surtout de rester informer et garder ses yeux ouverts.
Quand Le Miroir fait appel aux amateurs en 1914, il donne simplement la parole au meilleur narrateur possible d’une histoire, celui qui la vit. Et aujourd’hui ? Qui sont les narrateurs que nous écouterons ?

*Source : Joëlle Beurier, Le Miroir et la Grande Guerre

5 COMMENTS

  1. […] Habitué à illustrer les conflits avec des illustrations ou des images prisent loin de l’action, le journal français Le Miroir innove et annonce qu’il «paiera n’importe quel prix les documents photographiques relatifs à la guerre, présentant un intérêt particulier». Ce mouvement de l’illustration vers la photographie est expliqué dans l’intéressant article Les amateurs bouleversent le photojournalisme… en 1914 […]

  2. […] Quelques usages prévisibles : construire un exposé, présenter l’aboutissement d’un projet de classe, réaliser des modules de formation en ligne… Le montage même d’un webdocumentaire pourrait s’avérer très formateur du point de vue des Tice et de l’éducation aux média et fournir un mode d'expression efficace pour des projets interdisciplinaires. 24h dans une rédaction. Les amateurs bouleversent le photojournalisme… en 1914. […]

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